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Extrait de "Incroyable Judith"

Judith est venue à Bordeaux s'inscrire à la faculté pour l'année scolaire

      Au milieu de la conversation, je m'informe pour connaître la durée du séjour de notre invitée. Florence n'en a aucune idée. Judith est venue à Bordeaux s'inscrire à la faculté pour l'année scolaire. Elle est arrivée à l'avance pour pouvoir se trouver un logement. Dès demain, elles pourront commencer la chasse aux loyers, chambres ou studios. Pour l'instant, je regarde avec angoisse ces énormes sacs à dos remplis de linge sale. « Un peu de courage, ma vieille» me dis-je, ça ne se fera pas tout seul. Je demande donc à ma chère enfant de venir extraire les vêtements pour pouvoir faire une première lessive. Elle me tend pêle-mêle du linge qui date du début des vacances : survêtements, chemisiers, serviettes de toilette, le tout intimement mêlé, humide, moisi même. Il faut dire que, quand elle était les quinze derniers jours chez son amie, elles y étaient seules. La mère de Judith était partie en Grèce en voyage organisé et son père, invité d'une chasse privée en Ecosse. Je découvre aussi, malheureusement, là, au milieu, le séduisant petit ensemble de soie bleu qu'elle lorgnait dans une vitrine. Je lui ai offert pour son anniversaire : jupette ample et bustier justaucorps, froissé, tâché, en piteux état. J'ai envie de hurler. Celui-là, je ne le laverai pas. Je l'enverrai au nettoyage. J'aperçois même sous l'emmanchure un accroc. Je demande des explications à Florence. Elle fait l'étonnée. Je ne suis pas dupe. Cette façon de le retourner dans tous les sens en faisant l'innocente me met hors de moi. Je crie, j'insiste et finis par réveiller Judith. Elle découvre le conflit des générations version française. Mais, comme tout anglais ou anglaise qui se respecte, elle ne s'émeut pas. Voyant la tenue que je tiens au bout des doigts, elle a un air malicieux, un regard entendu qu'elle dirige vers Florence qui sur le champ rapproche instinctivement ses sourcils. Elle a un visage de mégère. L'heure est grave. Laquelle des deux va craquer. Je ne dis plus rien, reste le bras tendu, tenant entre mes doigts ce qui avait été l'objet de tant de convoitise. Florence passe aux aveux. Elle avait amené cette tenue pour aller danser. Seulement elle la trouvait trop chic et préférait les tee-shirts rigolos et des Jeans délavés pour faire comme tout le monde. Soit. Je ne comprends toujours pas. Nous en sommes arrivés à chercher la pièce maîtresse du puzzle. Après une hésitation qui ressemble à une minute de silence, elle se décide enfin. Un soir, elles ont été invitées à un bal costumé. Elle a donc prêté ce délicat ensemble à un copain qui s'en est travesti. Evidemment le bustier n'a pas résisté aux pectoraux de ce jeune homme. Je suis furieuse. Curieuse façon de montrer notre climat familial à une étrangère. Je m'en excuse. Elle réplique que chez elle, c'est pareil. Elle parle très bien le français, s'exprime très correctement. Est-ce une réplique de politesse ? Florence croit bon d'ajouter qu'elle a brûlé au cours de cette fameuse soirée un pantalon qui n'était pas à elle en voulant le repasser. Ça, je veux bien le croire ! C’est un appareil qui lui est totalement étranger. Judith fait «Peuh ! C'est sans importance». Bien sûr que c'est sans importance voyons ! Je suis vraiment la seule à me formaliser de ce genre de petit détail. Le contenu des sacs de Judith est semblable à celui de Florence et ses vêtements dans un état tout aussi lamentable. Je ferme la parenthèse mais je comprends maintenant leur gloutonnerie si elles n'ont pas fait plus de cuisine que de lessive. Avant de se remettre à table, elles ont une bonne heure à attendre et en profitent pour aller se promener un peu. Elles prennent les bicyclettes et vont rouler dans les environs au milieu des vignes. La chambre que nous octroyons à Judith est exiguë: un lit d'appoint pliant dans un petit placard avec un dégagement tout juste suffisant pour ranger ses vêtements, une étagère bibliothèque ; mais, provisoirement, jusqu'à ce qu'elle se procure un studio, elle s'en contentera. D'ailleurs, elle a l'air d'avoir bon caractère. Pour le peu que je puisse en juger, elle se satisfait de tout.

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